Nolife : l’histoire secrète

Nolife : l’histoire secrète

20 juin 2006. Jacques Chirac inaugure le musée du quai Branly. De nombreuses personnes présentent alors ce musée comme le grand ouvrage culturel de la présidence de l’ancien maire de Paris. Mais ce que tout le monde ignore, c’est que le président a alors un autre projet culturel en cours de préparation.

L’appétence de Jacques Chirac pour le pays du Soleil levant est de grande renommée et le président souhaitait mettre en avant la culture nippone en France. Cependant, le projet du Quai Branly s’étant étalé sur la quasi-intégralité de ses deux mandats, il savait qu’il n’aurait ni le temps ni les moyens de mettre en place quelque chose d’aussi ambitieux. D’où l’idée de mettre en place une petite structure mettant en lumière le Japon : c’est le début du projet qui donnera naissance à Nolife.

Alors que la chaîne vit ses derniers jours de diffusion, nous avons pu nous entretenir avec Sébastien Ruchet et Alexandre Pilot, cofondateurs de la chaîne et respectivement PDG et directeur des programmes, afin d’évoquer pour la première fois ces dessous inconnus de cette petite chaîne finalement proche des jeux de pouvoir.

De l’Élysée à une cave

Tout commence début 2006, dans le bureau du président. Jacques Chirac a alors réuni ses conseillers les plus proches pour leur exposer son idée : une plateforme permettant la promotion de la culture japonaise en France. Principale contrainte : la discrétion. Hors de question que le monde sache que le président lance son propre média. Par conséquent, peu de moyens sont disponibles et hors de question d’impliquer des gens déjà proches du pouvoir.

Après quelques mois de recherche, une cible semble trouvée : Pocket Shami, une petite boîte de production audiovisuelle produisant du contenu vidéo japonisant. Après s’être renseigné sur les personnes composant la société, décision est prise : il s’agit de leur proposer d’adapter les programmes qu’ils produisent pour les diffuser sur leur propre chaîne de télévision. Alexandre raconte le premier contact.

«On devait être en mai 2006. J’étais sur le montage d’un documentaire quand le téléphone s’est mis à sonner. C’était quelqu’un qui se présentait comme le conseiller culture de l’Élysée et demandait à nous rencontrer, Seb et moi. J’étais quand même très dubitatif, en essayant de reconnaître la voix de quelqu’un qui essaierait de nous faire une blague. Mais cette personne m’avait laissé une adresse e-mail en elysee.fr, en nous demandant de lui communiquer nos disponibilités pour un rendez-vous. J’en ai parlé le soir même à Seb et on a décidé de donner suite.»

Quelques semaines plus tard, ce même conseiller se rend donc dans les locaux de Pocket Shami et expose le projet aux deux hommes. Sébastien continue.

«Et là, il nous présente l’idée d’une chaîne de télé orientée Japon, avec nous aux manettes. Il n’y aurait pas de moyens financiers au début mais un soutien logistique pour lancer le projet et une liberté totale sur les thématiques abordées tant qu’un espace était dédié à la culture japonaise. Ils réfléchissaient aussi à un projet de loi sur des aides pour les médias audiovisuels indépendants,  dont la chaîne pourrait bénéficier une fois lancée. Il conclut en annonçant nous laisser du temps pour y réfléchir. On était alors en juin et il nous demande de lui donner notre réponse en septembre. C’était un gros projet pour nous et ça impliquait de laisser Pokesha de côté, mais vu que la boîte était pas en grande forme, on a décidé de tenter le coup. On a passé l’été 2006 à se demander ce que l’on pouvait faire et début septembre, on a communiqué à l’Élysée notre accord sur le projet.»

La machine est alors enclenchée. Alors qu’Alexandre et Sébastien commencent à réunir des fonds et à concevoir les premiers programmes, l’équipe du président de la République commence à chercher des locaux et des personnes qui pourront aider les deux hommes dans leurs démarches administratives. L’ensemble suit son cours, l’entreprise est créée début janvier 2007, les proches de Pocket Shami sont mis au courant et là, Alexandre s’emballe.

«Devant les bons retours qu’on a eu après avoir présenté Nolife à nos connaissances, on a décidé de faire un peu de teasing. J’ai préparé quelques vidéos et on a commencé à communiquer. Deux jours après, on avait un appel de l’Élysée. Il n’y avait pas de problèmes à commencer à communiquer mais on s’était un peu emballé en annonçant un lancement pour mars : ils avaient quelques soucis de leur côté pour gérer l’administratif, notamment vis-à-vis du CSA. Ils avaient sûrement sous-estimé notre enthousiasme !»

Il y a également un pépin du côté du projet de loi promis : les élections approchent, l’Assemblée Nationale ne siège plus et par conséquent, impossible de faire voter quoi que ce soit. Les fonds initiaux réunis vont devoir faire durer la chaîne plus longtemps que prévu alors que le lancement de la chaîne, quand à lui, n’approche toujours pas. «On les a recontactés en urgence vers la mi-avril, indique Sébastien. Eux auraient encore pu user de leur influence auprès des administrations quelques temps mais nous, on devait lancer avant l’été pour ne pas brûler tout notre capital avant même d’émettre. Ils ont bien compris l’urgence de la situation et une semaine plus tard, le CSA nous donnait les documents pour au moins avancer avec Free». Le FAI a d’ailleurs été contacté par l’équipe élyséenne. «Lors de notre entretien avec Free nous informant de la validation de la diffusion et du numéro de canal attribué, on a bien senti que le choix du canal 32 venait de haut», précise Alexandre. Tout cela menait au lancement de la chaîne, le 1er juin 2007, quelques semaines après le départ de Jacques Chirac de la présidence de la République.

Nouveau pouvoir, nouvelles galères, nouveaux espoirs

Nicolas Sarkozy prend en effet sa place à l’Élysée en mai 2007 et visiblement, il fait une petite fixette sur l’audiovisuel. Le nouveau président découvre rapidement le projet de loi promis à Alexandre et Sébastien et s’empresse de le faire disparaître.

«C’était évidemment une grosse douche froide, indique Sébastien. La chaîne émettait enfin depuis quelques semaines et on apprend ça. À peine lancé, le projet était déjà compromis à court terme. Dès la rentrée de septembre, on a commencé la recherche de partenaires et à notre grande surprise, nous avions toujours le soutien de Jacques Chirac.»

En effet, l’ancien président avait conservé une petite équipe, afin de pouvoir mener à bien différents projets plus personnels et Nolife en faisait partie. C’est ainsi qu’ils vont rapprocher la petite chaîne d’Ankama. Sébastien continue.

«Ankama avait été contacté avant nous en 2006, mais ils ont préféré rester sur le développement de leur univers à l’époque et n’avaient donc pas donné suite. Mais ils s’étaient tout de même montrés intéressés par l’idée. L’équipe de Chirac s’en était souvenu et on nous a indiqué qu’ils pourraient être intéressés par un partenariat. La suite a déjà été racontée : on y est allé pour un tournage, on a finalement parlé affaires et quelques temps plus tard, ils proposaient de nous financer quelques temps, le temps pour nous de se développer suffisamment afin de pouvoir rejoindre un business plan plus classique pour une chaîne télé.»

Nous sommes alors début 2008 et alors que Nolife et Ankama mettent leur partenariat en place, un nouveau bouleversement du PAF approche, avec l’annonce de la suppression de la publicité sur les chaînes de France Télévisions en soirée. Une annonce qui ne semble avoir aucun lien avec Nolife. Et pourtant… La publicité a disparu des soirées des télévisions publiques à la rentrée de janvier 2009, alors qu’aucune loi n’avait encore été votée et que les discussions, directes ou par médias interposés, avaient été âpres entre la direction de France Télévisions et l’Élysée. Cette application plus rapide que prévu a ses raisons, que nous explique Sébastien.

«Patrick de Carolis [alors président de France Télévisions] savait qu’il ne pourrait pas résister et quitte à céder, il a tenté de monnayer son accord avec plusieurs requêtes. Parmi elles, la mesure de l’audience sur l’ADSL : de Carolis était un proche de Jacques Chirac et en temps que président de France Télé, il avait été tenu au courant par rapport à Nolife et voyait là l’occasion de faire une fleur à Chirac».

Les discussions sur l’ajour de l’ADSL aux mesures de Médiamétrie démarrent donc courant 2009 et aboutissent rapidement, permettant les premières mesures début 2010. Ce qui se révélera essentiel pour Nolife.

«Ankama devait nous permettre de tenir le temps de candidater pour émettre sur le câble, précise Alexandre. On pensait encore pouvoir profiter de l’équipe de Chirac, mais son influence n’exerçait plus. Notre dossier a été rejeté et nous avons dû passer à un modèle basé sur les abonnements. Jusqu’à cette annonce de l’arrivée des mesures d’audience et donc de la publicité, qui promettait de nous sortir la tête de l’eau».

L’effet Chirac fait toutefois toujours effet au Japon. Toujours populaire là-bas, l’ancien président, toujours pas le biais de ses équipes, bénéficie de la politique Cool Japan pour réussir à convaincre des productions japonaises de donner des droits de diffusion voire de produire du contenu pour la France, qui sera destiné à être diffusé sur Nolife. «L’arrivée d’une bonne partie des premiers programmes japonais à l’antenne est due à son influence, précise Alexandre. Il y a eu ensuite un effet boule de neige que l’on a eu à gérer nous-même, mais on lui doit le démarrage.»

La fin d’un projet

Nous arrivons en 2012. Alors que Nolife fête son cinquième anniversaire en grande pompe, un nouveau locataire arrive à l’Élysée : François Hollande. Complice avec Jacques Chirac, il se verra confier la relation entre l’ancien président et la petite chaîne.  Cela conduira Hollande à donner quelques coups de pouce à Nolife durant les premiers mois de sa présidence. Mais une fois les liens entre Nolife et Chirac découverts par le Parti Socialiste, le nouveau président se verra contraint de freiner des quatre fers tandis que l’ancien président, affaibli, laissera petit à petit la chaîne de côté. L’élargissement de la TNT de fin 2012 et le bouleversement du marché publicitaire qui en suit grignoteront le précaire équilibre de Nolife, jusqu’à son redressement judiciaire dont la chaîne se sort de justesse mi-2017. Encore une fois grâce à Jacques Chirac ? «L’un des mandataires ayant géré le redressement était originaire de Corrèze, indique Alexandre, on a pas pu s’empêcher de faire le lien. Et vu comment le redressement est passé de justesse, ça nous a peut-être permis un sursis».

Sursis de brève durée. Emmanuel Macron arrive à l’Élysée en mai 2017 : il faut désormais promouvoir l’esprit start-up et un cas très médiatisé comme Nolife fait tâche. «Dès la fin 2017, des options que le mandataire jugeait comme exploitables six mois plus tôt lui paraissaient désormais insuffisantes, indique Sébastien. En quelques mois, toutes les portes qui étaient ouvertes s’étaient refermées. On aurait pu tenter de forcer les choses, mais on savait que c’était la fin».

L’aventure s’achève donc 12 ans après l’idée impromptue du président de la République d’alors. Une période durant laquelle deux passionnés auront réuni une grande équipe et une énorme communauté pour parler sérieusement de sujets pas trop sérieux sans trop se prendre au sérieux. Pas comme cet article, en fait.

2 thoughts on “Nolife : l’histoire secrète

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.